Gigognerie #4

"Elle se décidait enfin à le lui dire et la lumière perça les nuages. Son cœur battant, chamadant, chambardée, elle voulait courir loin, revenir au temps où elle ne destinait ces mots qu'à son père et à sa mère. C'était un mont de danger qu'elle venait de gravir, celui qui se trouvait là n'avait ni compris la portée de son regard, ni reçu le cœur chaud et humide qu'elle lui tendait. Il se contentait de le ramasser avec ce sourire qu'elle avait tant loué, d'une main, le mettant dans sa poche et continuant son affaire. Elle se laissait faire, tambourinée par le ventre alors que le vide prenait place à l'endroit où son cœur dormait, lent, calme et protégé. 

Lorsqu'elle n'en puis plus, elle pris la fuite en emportant son cœur asséché, maltraité par l'usure du tissu, recouvert par les miettes et les détritus de cette poche sale et étouffante. 
Dans la précipitation, se promettant de ne plus jamais l'offrir à qui que ce soit, elle replaça son petit cœur en son vide, tout fripé et blessé, avec le reste de miettes que ce monstre lui avait laissé. Des années plus tard, elle en rencontra d'autres. Son cœur, elle ne l'offrit plus. Emportant ceux qu'ils lui tendaient, elle en prenait soin et les rendait.

Un jour, sans crier gare, il descendit du train, l'inconnu. Alors qu'elle ne le vit pas venir, il lui donna son cœur et vola le sien. Sans qu'elle ne s'en aperçoive, il lava ses parois, guéris ses gerçures et réchauffa l’intérieur. 

Au savoir-faire de l’artisan, elle sentait lentement tambouriner, au fond d'elle, le cœur de l'homme. 
Logé de son ventre à sa bouche, blottis au creux de ses reins, aimé, il y est toujours."

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